La ville de Kinshasa est aujourd’hui gangrenée par un fléau qui ne cesse de prendre de l’ampleur : le phénomène Kuluna. Ces bandes de jeunes délinquants, armés de machettes, continuent de terroriser les quartiers populaires, semant chaos, peur et désolation parmi les habitants. Ce phénomène, loin d’être nouveau, semble s’enraciner profondément dans le quotidien de la capitale congolaise, sous le regard impuissant – voire complaisant – des autorités.
Les Kuluna règnent en maîtres dans des coins comme Barumbu, Matete, Ndjili et Yolo, où les habitants vivent dans une angoisse perpétuelle. Ils frappent sans prévenir, agressant les passants, extorquant les commerçants et laissant derrière eux un sillage de violence gratuite. Ce qui aurait pu n’être qu’une crise temporaire est devenu, au fil des années, une véritable culture de la violence, une normalisation de l’anarchie.
Les familles vivent dans la peur de croiser le chemin de ces jeunes délinquants, souvent mineurs, qui n’hésitent pas à blesser ou tuer pour quelques billets ou un simple téléphone portable. À chaque crépuscule, une nouvelle bataille commence pour les citoyens ordinaires, piégés dans cette jungle urbaine.
Face à cette crise, les autorités congolaises semblent avoir adopté une attitude cyclique de réaction, souvent inefficace. De temps en temps, des descentes policières spectaculaires sont organisées dans les quartiers les plus touchés. Les arrestations de Kuluna, brandies comme des victoires, font les gros titres des journaux locaux. Pourtant, à peine ces jeunes sont-ils appréhendés que les choses retombent dans un silence assourdissant.
Les forces de l’ordre, qui devraient être les protectrices de la population, se contentent souvent de faire acte de présence. Le “coup de vent répressif” passé, la ville retourne rapidement à la case départ, et les Kuluna, relâchés ou remplaçables, reprennent leurs activités destructrices. Les grandes opérations policières semblent être plus un spectacle destiné à rassurer temporairement la population qu’une réelle volonté de s’attaquer en profondeur à la racine du problème.
Cette gestion sporadique et symbolique des autorités n’apporte aucune solution durable. Le sentiment d’abandon parmi les citoyens s’accentue, et certains finissent même par considérer que les Kuluna font désormais partie du paysage. Plus grave encore, beaucoup se demandent si ces jeunes ne bénéficient pas d’une forme de protection tacite de la part de certaines personnalités influentes, leur garantissant une relative impunité.
Le gouvernement, quant à lui, ne cesse de marteler ses promesses de renforcement de la sécurité et de lutte contre la criminalité, mais les résultats tardent à se faire sentir. La jeunesse congolaise, délaissée par un système éducatif et économique en faillite, trouve refuge dans ces bandes violentes, faute d’alternatives. Le chômage massif et l’absence de perspectives font de ces jeunes des proies faciles pour la délinquance.
Le manque de programmes de réinsertion et de véritables politiques sociales amplifie ce cercle vicieux. Les initiatives lancées sont souvent mal planifiées, et les financements publics, quand ils ne sont pas détournés, ne sont jamais suffisants pour résoudre la crise à la racine. La répression seule ne suffit pas. L’absence de stratégies à long terme laisse penser que la lutte contre les Kuluna est avant tout un effet d’annonce destiné à calmer temporairement l’opinion publique.
Pendant ce temps, les habitants de Kinshasa s’enfoncent dans un désespoir silencieux. Ceux qui ont les moyens fuient les quartiers les plus touchés, tandis que les plus démunis, coincés dans la spirale de la violence, n’ont d’autre choix que de s’adapter à ce climat de terreur. On voit de plus en plus de citoyens se tourner vers l’autodéfense, formant des groupes pour se protéger eux-mêmes, faute de croire encore en l’intervention de l’État.
Les Kinois, qui ont déjà à faire face à une économie en crise et à des infrastructures défaillantes, sont désormais les otages d’une insécurité rampante. Leur frustration grandit, tandis que les autorités peinent à proposer une réponse cohérente et structurée. Le phénomène Kuluna n’est pas seulement une question de criminalité juvénile ; il est le symptôme d’une société en déliquescence, où l’État semble de plus en plus déconnecté des réalités quotidiennes de ses citoyens.
Alors que Kinshasa tente de se développer et de se moderniser, le phénomène Kuluna est un rappel brutal de la réalité : sans une action ferme, continue et concertée des autorités, la capitale congolaise restera plongée dans un cycle de violence. Les initiatives ponctuelles, les “coups de vent” policiers et les promesses non tenues ne suffisent plus à rassurer une population à bout. Il est grand temps pour les autorités de sortir de leur léthargie et de s’attaquer sérieusement à cette menace qui pèse sur la stabilité et l’avenir de la ville.
Sans une réelle volonté politique de transformation, les Kuluna continueront de sévir dans les rues de Kinshasa, faisant de la capitale une zone de non-droit où la violence règne en maître.
RL/lecorbeau.net